"Bgit Nganni Hnaya" (I want to sing here): Voice and testimony alongside a psychiatric encounter;"bġīt nġanni hnaya" (Je veux chanter ici): Voix et témoignage en marge d'une rencontre psychiatrique

Arabica

Volumn 53, Issue 2, 2006, Pages 232-280

  Pandolfo, Stefania ^a  

^a UNIVERSITY OF CALIFORNIA   (United States)

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EID: 79953459714     PISSN: 05705398     EISSN: 15700585     Source Type: Journal    
DOI: 10.1163/157005806777069796     Document Type: Article

References (126)

1. Walter Benjamin, « Sur quelques themes baudelairiens », Poesie et revolution, trad, de l'allemand par M, Gandillac, Paris, Denoel, 1971, p, 225-275
2. M. Foucault, « Qu'est-ce que les Lumieres », Dits et ecrits (1954-1988), Paris, Gallimard, 1994
3. Kateb Yacine, Nedjma, Paris, Seuil, 1954, p. 174.
4. Hanna Arendt, Les origines du totalitarisme. L'imperalisme, Paris, Fayard, 1982 (19511)
5. L'analyse de H. Arendt, et par la meditation du concept de « biopouvoir » (M, Foucault, Il faut dfendre la societe. Cours au College de France, 1976, Paris, Gallimard-Seuil, 1997)
6. est reprise par G. Agamben, Homo sacer. Il potere sovrano e la nuda vita, Turin, Einaudi, 1995
7. et recemment, par A. Mbembe, «Necropolitics », Public Culture, 15/1, 2003, p, 11-40
8. De la postcolonie, Paris, Karthala, 2000
9. Le depassement de la problematique de l'excep-tion est une question complexe, que je ne peux pas aborder systematiquement dans ce texte, mais qui se pose en tant que question centrale dans l'historie de Roqiya, Je me limite ici a renvoyer a des efforts d'inspiration diverse, dans la reflexion de M, de Certeau sur le lieu d'enonciation mystique dans l'exil (La fable mystique, Paris, Gallimard, 1982)
10. J,-L, Nancy et P, Lacoue-Labarthe, La retraite du politique, Paris, Galilee, 1981), ainsi que dans le travail de D, Fassin autour des pratiques paradoxales de la « bio-legitimite » dans le contexte de l'immigration et la sante en France
11. Sur l'urbanisme des quartiers insalubres et l'urbanisation sauvage, M. Hamdouni Alami, H. Bahi, F. Guerraoui et M. El Malti, Habitat clandestin au Maroc, Rabat, Groupe A.S.U., 1986
12. et un Rapport du Ministere de l'Habitat sur le relogement des bidon-villes, 2000
13. ainsi que nombreux travaux en cours, dont ma recherche en cours sur la migration a partir des quartiers pauvres de Rabat; voir aussi nombre de dossiers speciaux dans la presse marocaine (Ze Journal, Telquel, Maroc Hebdo, La Gazette du Maroc, al-Sahffa) sur la pauvrete dans les zone urbaines d'exclusion, a la suite des attentats suicides de Casablance en mai 2003, qui ont litteralement constitue ces quartiers en « zones d'exception » ou la question sociale est obliteree par des preoccupations de secu-rite. Sur les consequences devastatrices de liberalisation economique dans le monde rural, voir N. Akesbi, « La politique d'ajustement structurel dans l'agriculture au Maroc. Risques et perils du desengagement de l'Etat», M. Elloumi (ed.), Politiques agricoles et strategies paysannes au Maghreb et en Mediterranee occidentale, Tunis IRMC-Alif-Les editions de la Mediterranee, 1996
14. D. Ben Ali, «Ajustement structurel et retrait de l'Etat», Economie et socialisme, 10, 1991
15. pour un tableau general, P. Vermeren, Le Maroc en transition, Paris, La Decouverte, 2002
16. Sur la question des jeunes, M. Bennani-Chraibi, Soumis et rebelles, les jeunes au Maroc, Paris, CNRS, 1994.
17. D. Fassin, « La supplique. Strategies rhetoriques et constructions identitaires dans les aides d'urgence », Annales HSS, 55/5, 2000, p. 953-981.
18. Voir l'analyse de A. Hammoudi, dans Master and Disciple. The Cultural Foundations of Moroccan Authoritarianism, Chicago, The University of Chicago Press, 1997
19. ainsi que Tozy, Monarchie et islam politique au Maroc, Paris, Presses de Sciences Po, 1999.
20. F. Benslama, La psychanalyse a l'epreuve de l'islam, Paris, Aubier, 2002
21. voir aussi E. Balibar, La crainte des masses, Paris, Galilee 1997
22. id., Nous, citoyens d'Europe ? Le fron-tieres, l'Etat, le peuple, Paris, La Decouverte, 2001.
23. Arjun Appadurai, « Dead Certainty: Ethnic Violence in the Era of Globalization », Public Culture, 10/2, p. 225-247.
24. Voir aussi, Liisa Maalki, Purity and Exile. Violence, Memory, and National Cosmology among the Hutu Refugees in Tanzania, Chicago, The University of Chicago Press, 1995.
25. On peut penser ici a certains travaux d'inspiration dialogique dans l'anthropolo-gie du Maghreb (notamment V, Crapanzano, Tuhami. Portrait of a Moroccan, Chicago, The University of Chicago Press, 1980)
26. Hermes Dilemma and Hamlet's Desire. On the Epistemology of Interpretation, Harvard University Press, 1992, ou aussi, pour une herme-neutique du performatif
27. A. Hammoudi, La victime et ses masques. Essais sur le sacrifice et la mascarade au Maghreb, Paris, Seuil, 1988, Le but des mes reflexions est cependant ailleurs, dans l'effort de saisir la dimension du refoulement et le travail des logiques contradictoires et rivales qui s'experimente das la souffrance physique, et peuvent se dire dans une parole singuliere, ou au contraire s'objectiver dans les formes figees du durcissement ideologique et de la violence, Il me semble qu'une approche performative, attentive aux clairs-obscurs de l'experience individuelle, permet mieux de saisir la complexite et l'avenement de la possibilite dans l'histoire des sujets, ainsi que des col-lectivites, Dans cet essai qui traite de la mise en question des references collectives, la pensee de la culture de C, Geertz est sans doute une contrepartie incontournable, pour sa contribution specifique a l'etude des lieux de la reference symbolique et du sacre au Maroc
28. Islam Observed, New Haven, Yale University Press, 1968
29. « Centers, Kings and Charisma: Reflections on the Symbolics of Power », Local Knowledge, New York, Basic Books, 1982
30. « Suq: the Bazaar Economy in Sefrou », Meaning and Order in Moroccan Society, Cambridge, Cambridge University Press, 1979), ainsi que - postulat theorique qui concerne directement le theme de cet essai - pour le rapport secret, et a mon avis fondateur, que la pensee de la culture entretient avec la perte du sens et l'experience de la folie, Car pour Geertz la culture en tant que forme symbolique et possibilite de la mise en forme est l'ancrage et la garantie du sens, possibilite de l'humain; mais elle est aussi la trace d'une menace jamais dissipee que le systeme de reperes puisse se brouiller et faire surgir un sentiment d'insecurite radicale, le fait «d'etre a la derive dan un monde absurde »
31. Religion as a Cultural System, p. 102
32. Geertz n'a jamais cesse de reflechir a cette fragilite de l'humain, en tachant de comprendre comment d'autres cultures posent la question du sens et representent l'angoisse de sa perte (par exemple, « Religion as a Cultural System », et « Person, Time, and Conduct in Bali », The Interpretation of Cultures, New York, Basic Books, 1973).
33. Cette preoccupation avec une conception absolutiste du Sens inscrit dans des matrices cognitives fondamentales, un « blueprint » culturel dont les etres humains dependent et ne peuvent pas se defaire (et donc le danger de folie radicale: voir par exemple la discussion de la figure de la fitna dans « The Bazaar Economy in Sefrou » par rapport a celle de la fitna de vie-mort dans mon Impasse of the Angels. Scenes from a Moroccan Space of Memory, Chicago, The University of Chicago Press, 1997), est aussi un obstacle principal a la comprehension de la crea-tivite dans des situations de transformation historique, ou il faut pouvoir penser la creation de soi dans un contexte de defaillance du sens, et le sens/non-sens se manifeste comme le travail du deuil d'un « present en decombres ». On peut ajouter que bien au-dela d'une reflexion sur la mutation et la crise, l'instabilite du sens et le rapport a l'alterite sont des dimensions fondatrices de la subjectivite (Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne).
34. Un certain absolutisme du « sens culturel » est aussi a l'ceuvre dans la renaissance de l'ethnopsychiatrie dans la psychotherapie des migrants en France et en Italie, ou la matrice culturelle et le rapport a l'origine sont traites de facon litteraliste par un souhait de retour au pays natal ou aux etiologies et techniques de guerison tra-ditionnelles, et la mise en question de l'appartenance et des references culturelles expri-mees par la maladie en est oflusquee (par exemple, T. Nathan, L'influence qui guerit. Paris, Odile jacob, 1994, et la critique de D. Fassin, « L'ethnopsychiatrie en France: l'influence qui grandit »). Tout en prenant des distances de l'approche culturaliste dans toutes ses formes, je cherche dans cet essai a saisir la dimension de perte, rupture et refoule-ment vis-a-vis des vocabulaires de l'appartenance culturelle, et la possibilite d'une re-elaboration. Ce sont des questions fondamentales, qui touchent a la subjectivite en tant que travail de la memoire et de la transmission intergenerationnelle, et qui ne peuvent pas etre sous-estimees. Voir dans ce sens la reflexion d'anthropologues- psychotherapeutes autour du recours aux lieux culturels dans la psychopathologie psychotique.
35. Dans un travail sur l'expe-rience du declenchement de la psychose en Inde parmi des jeunes, E. Corin suggere qu'au tout debut nombreux patients cherchent abri (et le trouvent) dans des lieux et codes religieux hindous qui justifient et sanctionnent la solitude et le retrait de la societe, en creant un espace de secret ou le sujet peut se ressourcer et reconstruire ses defenses, sans pour cela etre penju comme « malade » (E. Corin, « A l'ombre de la psychose. Des traces en creux aux marges de la culture » Communication au colloque Penser la psychose. Du traitement a l'accompagnement, Bruxelles, novembre 2002
36. « Living Through a Staggering World. The Play of Signifiers in Early Psychosis in South India », Culture, Subjectivity, and Schizophrenia, sous la direction de J. Jenkins et R. Barrett
37. voir aussi G. Obeyesekere, The Work of Culture. Transformation in Psychoanalysis and Anthropology, Chicago, The University of Chicago Press, 1990).
38. Au Maroc les sanctuaires ont fonc-tionne ainsi, et on trouve quelques experiences de ce genre, ou des lieux sacres ont ete reinvestis par des jeunes (parfois meme des citadins) souflrant de troubles psychiques chroniques. Mais l'histoire de la medicalisation en Inde est diflerente de celle au Maghreb, et, sauf rare exception, cette option est rejetee par l'institution medicale, Dans l'histoire de Roqiya ci-dessous, le recours au lieu du Saint est forclos, ( je remer-cie Clifford Geertz et Abdellah Hammoudi pour des echanges stimulants autour de la question de la culture et du sens lors d'une premiere presentation de l'histoire de Roqiya lors du colloque de Sefrou, « Hommage a Clifford Geertz », mai 2000)
39. Dans un article autour de la condition sociale des immigres malades du sida en France, Didier Fassin souhaite un retour a la biographie, en tant que responsabilite de l'anthropologie vis-a-vis la complexite, mais aussi en tant qu'ecriture du bios, d'une vie « susceptible d'etre racontee », contre sa reduction a la realite biologique de « vie nue » dans le corps souffrant, « Une double peine, La condition sociale des immigres malades du sida », L'Homme, 160, 2001, p, 137-162
40. La dimension onirique de la memoire traumatique occupe le devant de la scene dans nombreux travaux litteraires au Maghreb et au Moyen-Orient, et a ete relevee dans quelques travaux anthropologiques, On a parle de la place centrale du phantasme dans Nedjma de Kateb Yacine, et de son rapport avec une violence initiale, coloniale et autre, L'espace du reve est aussi en premier plan dans Qui se souvient de la mer de Mohammed Dib (Paris, Seuil, 1963)
41. ou la guerre d'Algerie est transfiguree en recit mythique d'un monde souterrain, car l'horreur, dit l'auteur, ne peut qu'etre representee par des formes legendaires. Dans Mamlakat al-guraba' de Elias Khouri (Dar al-adab, Beyrouth, 1993
42. trad. anglaise, The Kingdom of Strangers, The University of Arkansas Press, 1996), la guerre du Liban, et le massacre du camp palestinien de Shatila, sont narres dans un domaine d'etrangete radicale (mamlakat al-guraba', regne d'etrangers) ou le reve tourne au cauchemar, les personnages se melangent dans la superposition du souvenir, et la memoire ne peut que reinventer l'histoire de l'horreur dans la fiction, qui est aussi une falsification. Au Maroc Parcours immobile de Edmond Amran El Maleh (Paris, Maspero, 1980) met en scene le « desastre » de la memoire, son vertige et eclatement en fragments, a travers un recit autobiographique en « strates » geologiques, ou l'histoire des personnages s'enchevetre dans les ruptures de l'histoire du pays, se metamorphosant dans un jeu destructeur/createur de la vie et de la mort, qui est l'experience des sujets dans le Maroc d'apres la colonisation. Pour une discussion anthropologique de ces pro-blematiques dans l'anthropologie du Maghreb, voir, entre autres, mon propre travail Impasse of the Angels. Scenes from a Moroccan Space of Memory
43. A. Moussaoui, « La violence en Algerie, des crimes et des chatiments», Cahiers d'etudes africaines, 150-152, 1998, p. 245-269
44. ainsi que Tuhami, de V. Crapanzano, The University of Chicago Press, 1980.
45. Pour une approche comparative en anthropologie, voir M. Taussig sur la culture de la terreur dans Shamanism, Colonialism, and the Wild Man, The University of Chicago Press, 1987
46. Veena Das, sur le traumatisme historique de la « partition » Inde-Pakistan et le travail imaginaire de reconstruction qui s'en suivit, « Language and Body. Transactions in the Construction of Pain », Social Suffering, ed. A. Kleinman, M.A. Lock & V. Das, The University of California Press, 1997
47. « The Act of Witnessing: Violence, Poisonous Knowledge, and Subjectivity » Violence and Subjectivity, ed. Veena Das, Arthur Kleinman & al., Los Angeles, The University of California Press, 1997
48. V. Crapanzano, Imaginative Horizons, The University of Chicago Press, 2003
49. A. Mbembe, « Life, Sovereignty and Terror in the Fiction of Amos Tutuola », Research in African Literature, 34/4, 2003, p. 1-26.
50. Voir a ce propos l'interessante lecture des differentes formes et logiques du mar-tyre de Farhad Khoshrokhavar, sur laquelle je reviendrai dans la conclusion cet essai, Le nouveau martyrs d'Allah, Paris, Flammarion, 2003
51. ainsi que Le martyre et la mort. Le mar-tyre revolutionnaire en Iran, Paris, L'Harmattan, 1995.
52. P, Legendre, Lecon VIII, Le crime du caporal Lortie. Traite sur le pere, Paris, Flammarion, 1989
53. Sur le theme de la culture dans le discours de la psychiatrie (coloniale et post-coloniale) et l'experience de rupture dans la conscience historique de modernite au Maroc, voir S. Pandolfo, « The Thin Line of Modernity. Some Moroccan Debates on Subjectivity », Questions of Modernity, dir. T. Mitchell, The University of Minnesota Press, 2000.
54. La des-identification est aussi un theme central du debat autour de la decolonisation et la modernite au Maroc dans les annees 70, dans la double critique de la colonisation expropriatrice et du mouvement national reconstructeur des sources de l'identite arabe et islamique, en litterature ainsi qu'en sciences humaines - l'accent etant mis sur une critique de l'authentcite, et une mise en valeur de l'eclatement de l'identite, par exemple par la «blessure » du bilinguisme arabo-francais, Voir A, Laroui, L'ideologie arabe contemporaine, Paris, Maspero 1969
55. A, Khatibi, Maghreb Pluriel, Paris, Denoel, 1983
56. D, Chraibi, Le passe simple, Paris, Denoel, 1954
57. Voir aussi, Penseurs maghrebins contempo-rains, Rabat, Eddif, 1993
58. et S, Pandolfo, « The Thin Line of Modernity », art. cit.
59. Trente ans apres les formes de des-identification ont change et passent souvent chez les jeunes par une revalorisation de l'arabe non vernaculaire, et par l'exploration des vocabulaires theologiques parfois lies aux phenomenes de resurgence islamique, Voir, par exemple, M, Tozy, Monarchie et islam politique au Maroc, op. cit
60. Clifford Geertz avait pose la question de la des-identification dans Islam Observed (op. cit.), ou il interpretait dans ce sens le tournant scripturaire dans l'Islam du mouvement national
61. Je renvoie ici aux ecrits de Piera Aulagnier, Gisela Pankow (Structure familiale et psy-chose) et de Pierre Legendre (Le crime du caporal Lortie. Traite sur le pere).
62. Piera Aulagnier, La violence de l'interpretation, Paris, PUF, 1975, p, 192
63. Dans la loi marocaine (qui est actuellement en train de changer selon la reforme de la Mudawwana, le code de la famille, reforme annoncee en octobre 2003) si une femme est repudiee parce qu'elle n'est pas vierge alors qu'elle etait supposee l'etre, le pere de la femme est tenu de rendre la dot. Cependant une fois que la virginite de la femme est attestee par un certificat medical de virginite (sahadat al-bakara) le divorce ne peut plus se faire sur cette base. Roqiya est reprise en mariage par la famille de l'epoux parce que le certificat de virginite les a obliges a poursuivre le divorce sur d'autres bases. Une fois le mariage consomme, la femme a le droit de garder la dote.
64. Dans droit de la famille d'avant la reforme Roqiya ou son pere ne peuvent pas s'opposer au divorce, car le mari a le droit unilateral de divorcer (c'est ce que dit Roqiya: "la femme n'a pas de chance, s'il veut divorcer il divorce"). La raison du divorce a pourtant des consequences sur les termes de la rescision du contrat de mariage. La reforme de la Mudawwana qui vient d'etre votee par le parlement marocain change la loi sur ce point, au moins dans le texte, car le mari n'a plus le droit unilateral au divorce et de surcroit a la repudiation, et la femme, en revanche, a le droit de deman-der le divorce. Le divorce devient une transaction civile, qui ne peut etre prononce qu'au tribunal et par le juge. C'est le juge qui decide des conditions. Dans le cas de Roqiya le juge aurait pu lui donner raison et condamner le mari a lui payer une pension, La nouvelle loi ne mentionne pas la virginite (al-bakara)), qui pourtant reste cou-tumiere, et est mentionnee de routine dans les contrats de mariage, Pour une discussion du code marocain de la famille et ses rapports avec la SafT'a, voir Jamila Bargach, Orphans of Islam. Family, Abandonment, and Secret Adoption in Morocco, Oxford-Lanham, Rowman & Littlefield, 2002
65. voir aussi V, Crapanzano, « Saints, Jnuns and Dreams », Hermes' Dilemma and Hamlet's Desire, Cambridge, Harvard University Press, 1992
66. Le sanctuaire, en tant que Zawiya ou simplement Seyyid (lieu du Saint, Seyyid ou Walt) et en general l'institution de la saintete en tant que protection, mediation et centre symbolique, sont aussi un lieu classique de l'anthropologie maghrebine des la periode coloniale qu'on se doit aujourd'hui de repenser. Voir en tant que textes repe-res, E. Westermark, Riual and Belief in Morocco, 1926
67. E. Doutte, Magie et religion dans l'Afique du Nord, Paris, Geuthner, 1908
68. E. Dermenghem, Le culte des saints dans l'Islam maghrebin, Paris, Gallimard, 1954
69. ainsi que C. Geertz, Islam Observed, op. cit.
70. V. Crapanzano, The Hamadsha. A Study in Moroccan Ethnopsychiatry, The University of Chicago Press, 1978
71. et recemment, du point de vue therapeutique, K. Naamouni, Le culte de Bouya Omar, Rabat, Eddif, 1993
72. J. Bennani, La psychanalyse au pays des Saints, Rabat, Eddif, 1996.
73. Dans l'optique d'une relecture de l'institution de la Zawiya dans le contexte politico-religieux de l'Islam au Maroc, en tant qu'institution plurielle caracterisee par des para-digmes divergents, voir A. Hammoudi, Master and Disciple, op. cit.
74. id., « Saintete, pouvoir et societe. La zaouia de Tamgrout au XVIIe et XVIIIe siecles », Annales ESC, XXXV/3-4, 1980
75. Halima Ferhat, Le soufisme et les zaouyas au Maghreb, Casablanca, Toubkal, 2003
76. A. Sebti, Ville et figure du charisme, Casablanca, Toubkal, 2003
77. M. Lings, A Sufi Saint of the Twentieth Century, Cambridge, The Islamic Texts Society, 1993.
78. Pour une approche comparative, voir a ce propos Janis Jenkins, « Ethnopsychiatric Interpretations of Schizophrenic Illness: the Problem of Nervios within Mexican-American Families », Culture, Medicine, and Psychiatry, 12, 1988, p, 303-331
79. Sur la question de l'arbitraire et de la transmission, P. Legendre, Le crime du capo-ral Lortie. Traite sur le pere.
80. S. Pandolfo, « Le noeud de l'ame », Rue Descartes. A partir de Michel de Certeau, 25, 1999, p. 106-124.
81. M, de Certeau, La possession de Loudun, Paris, Juillard, 1970, p, 7
82. P. Geshiere, The modernity of Witchcraft. Politics and the Occult in Postcolonial Africa, University of Virginia Press, 1997
83. L'ethnographie desormais classique de J, Favret-Saada (Le mots, la mort, les sorts. Enquete sur la sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard, 1977) pourrait etre repensee dans ce sens, en particulier a partir d'une annexe autour de la paranoia et du discours de la sorcellerie comme contre-delire d'un delire collec-tif, A propos de la sorcellerie dans le Maroc contemporain, je me base sur un travail en cours avec des therapeutes d'orientation coranique et en collaboration avec un psy-chiatre de l'hopital Arrazi de Sale, en particulier sur une serie d'entretiens avec un imam-therapeute dans la ville de Sale autour de la folie et du sihr en avril-mai 2001
84. Lacan, Le seminaire. Livre III: Les Psychoses, Paris, Seuil, 1981, p. 31.
85. Ellen Corin, « Le rapport a l'autre, psychanalyse et anthropologie », S, Harel (dir,), Resonances. Dialogues avec la psychanalyse, Montreal, Editions Liber, 1998, p, 46
86. Pour une discussion ethnographique du temoignage dans la pratique et la theorie juridiques, je renvoie a B. Messick, The Calligraphic State. Textual Denomination and History in a Muslim Society, The University of California Press, 1993.
87. B. Johansen, « Signs as Evidence: The Doctrine of Ibn Taymiyya (1263-1328) and Ibn Qayyim al-Jawziyya (D. 1351) on Proof», Islamic Law and Society, 9/2, 2002, p. 168-193.
88. Cet article remarquable eclaircit la dimension hermeneutique du temoi-gnage oral (par les suhud) et de la preuve dans le fiqh et dans les pratiques juridiques de l'Islam classique ( jusqu'au 13e siecle), vis-a-vis de la rupture epistemologique operee par Ibn Taymiyya dans son texte al-Siyasa l-sar'iyya, ou on introduit le concept de preuve circonstancielle, « signe indiciaire », preuve objective et independante de la parole des temoins. Johansen souligne comment la logique de la « preuve circonstancielle » est asso-ciee a des pratiques naissantes de l'Etat bureaucratique, et a une representation de l'ethi-que individuelle comme corporisation d'une logique publique de l'Etat, qui s'institutionnalise en pratiques de controle policier (science corporelle de la physiognomonie a la recherche d'indices de propension au crime), pratiques qui seront plus tard utilisees pour met-tre a l'ecart les minorites ethniques et religieuses, B, Johansen argumente dans ce texte que la logique du temoignage se fonde sur un principe d'incertitude et un critere de justice procedurale - car le juge, comme tout mortel, ne peut pas connaitre la verite qui est une prerogative divine, mais peut l'evaluer selon des criteres formels, Le juge-ment sur la base du temoignage oral dans le cours d'un proces formel est donc l'issue d'une conception hermeneutique et relativiste de la preuve, mais (et voila le point crucial, qui distingue cette lecture d'une application du critere occidental de justice proce-durale dans un regime d'autonomie de la loi) a l'interieur des limites theologiques etabli par l'alterite de Dieu, limites qui ouvrent justement l'espace de l'interpretation (voir aussi a ce propos M. Arkoun, Lectures du Coran, Paris, Maisonneuve, 1982), La logique de la preuve circonstancielle au contraire ferme l'espace de l'interpretation
89. Voir a ce sujet la reflexion de G, Agamben sur le paradoxe du temoignage en tant qu'impossibilite et possibilite de parler dans Quel che resta di Auschwitz. L'archivio e il testimone, Milan, Boringhieri, 1998
90. Voir aussi Cathy Caruth, Unclaimed Experience. Trauma, Narrative, History, Johns Hopkins University Press, 1995
91. ainsi que Veena Das, « Transactions of Pain », Social Suffering, op. cit
92. F. Benslama, « Epreuves de l'etranger », Cahiers Intersignes, 14-15, 2001, p, 9-29
93. Je renvoie ici au travail de Nicolas Abraham sur le rythme, le chiffre et le symp-tome-symbole en psychanalyse et poetique, Rythmes, Paris, Flammarion, 1985, et en par-ticulier « la conscience rhythmisante », « pour une esthetique psychanalytique: le temps, le rythme et l'inconscient ».
94. W. Benjamin, « Theses sur la philosophie de l'histoire », art. cit.
95. voir aussi la lecture de G. Agamben, Il tempo che resta. Un commento alla lettera ai Romani. Turin, Bollati-Boringhieri, 2000.
96. C. Caruth, Unclaimed Experience.. ., op. cit., p. 5.
97. Le contrepoids de la voix du chant retablit le rythme de la vie. Dans un texte sur le rapport des schizophrenes a la vie, J. Jenkins forge le concept de « rythme de la vie », en tant qu'effort et scansion corporelle (« Schizophrenia as a Paradigm Case for Understanding Fundamental Human Processes », J. Jenkins et R. Barrett, Culture and Schizophrenia, Cambridge, Russel Sage Foundation and Cambridge University Press, 2003.
98. S. Pandolfo, « Rapt de la voix », Awal. Cahiers d'etudes berberes, 15, 1997, p. 31-50, pour une analyse de la technique du sra' (aneantissement, du patient et du djinn).
99. Ce point meriterait un approfondissement impossible dans le cadre limite de ce texte, Voir R. Castel, L'ordre psychiatrique, Paris, Editions de Minuit, 1976
100. E. Goffman, Asylums, New York, Anchor Books, 1961
101. F. Basaglia, Scritti, vol, 1 et 2, Turin, Einaudi, 1981
102. M, de Certeau, « La parole alteree », L'ecriture de l'histoire, Paris, Gallimard, 1975
103. et La possession de Loudun, op. cit.
104. M, Foucault, Le pouvoir psychiatrique (cours au College de France, 1973-74), Paris, Gallimard-Seuil, 2003
105. M, Boughali, Sociologie des maladies mentales au Maroc, Casablanca, Afrique-Orient, 1988 (ch, 2 : « La folie hospitalisee »)
106. A. Ehrenberg et A, Lovell, La maladie mentale en mutation, Paris, Odile Jacob, 2001.
107. Voir S, Pandolfo, Impasse of the Angels, op. cit., p, 246-295
108. Je dois cette reference comparative ainsi que l'approfondissement de la notion de al-sawt dans la litterature arabe classique a Mohammed Hamdouni Alami qui m'a fait part de sa recherche sur la poetique d'al-Gahiz, Al-bayan wa l-bunyan. Meaning, Poetic, and Politics in Early Islamic Architecture [inedit, soumis a The University of Chicago Press], J'emprunte de son texte la citation sur la voix, p, 60
109. Pour une discussion sur la voix entre materialite corporelle et ecriture de l'absence, voir Adonis, An Introduction to Arabic Poetics, trad, C, Cobhan, Austin, University of Texas Press, 1990
110. W.T. Adorno, « The Function of Counterpoint in the New Music », Sound Figures, trad. angl. R. Livingstone, Stanford University Press, 1999
111. Klangfigure. Musikalische Schriften, I-III, vol, 16, Gesammelte Schriften, ed. R. Tiedemann, 1978), p. 126-129. Ma traduction a ete faite a partir de la version anglaise.
112. On pourrait comparer le chant de Roqiya, et son rapport a un code socio-cultu-rel percu comme a la fois ecrasant et faisant lieu de loi (mais dans le cas de Roqiya l'ecrasement est a entendre au sens propre), avec les poemes "extemporanes" chantes par les femmes egyptiennes du desert occidental et etudies par Lila Abu-Lughod (Veiled Sentiment. Honor and Poetry in a Bedouin Society, Berkeley, The University of California Press, 1986), Abu-Lughod met l'accent sur une certaine complementarite entre le code de l'honneur et l'expression poetique a ses marges, complementarite qui fonctionne au bout du compte comme un facteur de stabilisation sociale et rend possible une co-habitation entre les valeurs collectives/masculines et interiorisees par les femmes, et qui ne lais-sent pas de place a l'expression des emotions, et la manifestation d'une autre maniere d'etre et de sentir par le jaillissement de la phrase poetique qui dit par la rime chan-tee ce qu'on ne peut pas admettre dans le registre de la morale et des rapports de domination, Dans ma lecture de l'histoire de Roqiya, et par la notion de « voix » telle que je la discute plus haut, je mets par contre l'accent sur une tension inconciliable qui ne peut pas se resoudre en complementarite, sur une multiplicite des codes institution-nels rivaux, et une impossibilite d'habiter le lieu de la reference symbolique, J'interprete le chant de Roqiya comme la cristallisation d'une telle tension dans une enonciation qui est a la fois une demission et une affirmation, qui temoignent ensemble d'une experience du non-lieu et de l'ailleurs, Dans ce sens l'expression de Roqiya serait plus pro-che de celle des poetes dont j'ai rapporte l'exegese et la pratique dans Impasse of the Angels, et qui se constituent en sujets createurs dans l'exil, Il serait interessant de comparer cette approche de la voix et de la creation de soi par rapport a une loi morale dominante avec la lecture qu'a fait Saba Mahmood de l'exercice de la vertu et de l'ethi-que religieuse parmi les femmes du « mouvement des mosquees » en Egypte dans le cadre de la resurgence islamique, qu'elle analyse comme un processus de creation de soi qui met en cause une idee de la subjectivite (dans le sens americain de agency) tou-jours implicitement fondee sur des criteres occidentaux de liberte individuelle
113. S, Mahmood, « Feminist Theory, Embodiment, and the Docile Agent: Some Reflections on the Egyptian Islamic Revival», Cultural Anthropology, 16/2, 2001, p. 203-236.
114. Laissant de cote les reserves par rapport a cette analyse meme (la position methodologique de Mahmood la poussant a suivre la lettre de l'argumentation theologique et morale, et ceci dans l'effort justifie de legitimer ce registre de l'experience comme modalite « non-liberale » de la creation de soi, sans suivre la parole des femmes dans d'autres contextes, et donc sans rentrer dans les meandres de leur vie ou d'autres versions pourraient etre donnees), je soulignerai que la question dans l'histoire de Roqiya n'est pas celle de « se creer » par rapport a une loi morale qui exhorte a la soumission - probleme analyse par S. Mahmood du point de vue d'une ethique de creation de soi par une « virtuosite » dans l'exercice de l'orthodoxie, mais par rapport a une loi sociale et morale qui se manifeste en tant que criminelle. Dans ce sens le probleme est proche de celui debattu pas Veena Das - voir son analyse des recits de femmes dans les sequelles de la scission violente de l'Inde et du Pakistan dans le corps des collectivites ainsi que des personnes particulieres (V. Das, Critical Events, Delhi, Oxford University Press, 1995)
115. et «The Act of Witnessing...», art. cit.). La question qu'elle se pose est justement celle de la rencontre avec la nature criminelle de l'ordre social et la possibilite d'exister a nouveau dans un monde ou il n'y a pas de transcendance. « Faire avec » comporte dans sa lecture l'incorporation et la transfiguration des « savoirs empoisonnants ».
116. « Le patient doit se souvenir, mais il n'est pas possible de se souvenir de quelque chose qui n'a pas encore eu lieu, et cette chose du passe n'a pas eu lieu justement parce que le patient n'etait pas la pour que la chose advienne, Le seul moyen de se souvenir dans ce cas est pour le patient de "vivre" cette chose passee pour la premiere fois dans le present, c'est-a-dire dans le transfert » (je traduis par « vivre » l'anglais to experience), D.W. Winnicott, « Fear of Breakdown », Psychoanalytic Explorations, Harvard University Press, 1989, p. 92 (traduction personnelle).
117. M. Foucault, Il faut defendre la societe (cours au College de France, 1976), Paris, Seuil-Gallimard, 1997.
118. Byron Good, M.A. Subandi et Mary-Jo Del Vecchio-Good, « Le sujet de la maladie mentale. Psychose, folie furieuse, et subjectivite en Indonesie », La maladie men-tale en mutation. Psychiatrie et societe, dir. A. Ehrenberg & A. Lovell, Paris, Odile Jacob, 2000.
119. Farhad Khosrokhavar, Les nouveaux martyrs d'Allah, Paris, Flammarion, 2002, p. 77.
120. W. Benjamin, « Pour une critique de la violence », Mythe et revolution = « Zur Kritik der Gewalt », Gesammelte Schriften, 1921, IV, 179-203.
121. L'approche de Benjamin sur la question de la violence et de l'exception est radicalement differente de celle de Carl Schmitt. Tandis que Benjamin oppose l'exception etatique (qu'il denonce en tant que fasciste), a une exception (et une violence) revolutionnaire et autrement souveraine dans une eschatologie secularisee, Schmitt sanctionne l'exception comme fondement de la souve-rainete des Etats, et fonde le lien social dans la relation d'ennemi (C. Schmitt, Politische Theologie, 1922)
122. « Begriff des Politischen », 1932
123. trad. it. Le categorie del politico, Milan, Il Mulino, 1972.
124. Sur la question de l'exception par rapport au martyre-suicide dans ce que Mbembe appelle « Etat de siege », voir la conclusion de « Necropolitics », art. cit.
125. M, de Certeau, La fable mystique, op. cit,, p, 41
126. Un poete de l'Oued Draa, cite dans S. Pandolfo, « L-gul jaillit toujours d'un debor-dement», traduction, a partir ddlmpasse of the Angels, modifee.