The « Righteous » and resistant characters in the french historic memory of the occupation;Les figures du juste et du résistant et l'évolution de la mémoire historique française de l'occupation

Revue Francaise de Science Politique

Volumn 52, Issue 2-3, 2002, Pages 291-322

  Gensburger, Sarah ^a  

^a UNIVERSITÉ PARIS 8   (France)

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EID: 38349141249     PISSN: 00352950     EISSN: None     Source Type: Journal    
DOI: 10.3406/rfsp.2002.403712     Document Type: Article

References (151)

1. Le décret d'application a été pris le 15 juillet 2000. Le 16 juillet 2000 a donc donné lieu à la première édition de cette journée.
2. Article unique de la loi instaurant« Une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux "Justes" de France», adoptée, à l'unanimité, par l'Assemblée nationale, le mardi 29 février 2000 et par le Sénat, le 23 mars 2000.
3. Ce titre a été créé en 1953 dans le cadre de la loi adoptée par la Knesset et créant l'Ins- titut Yad Vashem. Son attribution, au nom de l'État d'Israël, a été confiée en 1963 à un départe- ment des Justes parmi les nations, au sein des services de Yad Vashem. Ce titre est attribué dans l'ensemble des pays où des Juifs ont été sauvés. Une commission spéciale examine les dossiers constitués par des personnes sauvées afin d'honorer leurs sauveteurs. 2000 Justes parmi les nations français ont été honorés à ce jour.
4. Ce titre est attribué selon une procédure dont le cœur et l'origine sont constitués par les témoignages de Juifs sauvés. Si, jusqu'à la fin des années 1980, la constitution des dossiers s'effectuait directement auprès de Yad Vashem Jérusalem, aujourd'hui, et depuis plus de dix ans, le Comité français pour Yad Vashem, association loi 1901, prend en charge le rôle d'inter- médiaire entre les témoins et le département des Justes de Jérusalem. Cette association est animée par des Juifs français qui ont, dans leur majorité, effectué eux-mêmes des démarches pour faire honorer ceux qui les ont aidés.
5. À l'origine, un arbre au nom du Juste était planté dans l'Allée des Justes. Mais suite à une trop grande affluence, cela a dû être abandonné et a été remplacé par ce Mur des Justes.
6. Jean-Pierre Azéma, François Bédarida, « Controverses et enjeux de mémoire», 1938- 1948. Les Années de Tourmente de Munich à Prague. Dictionnaire critique, Paris, Flammarion, 1995, p. 1092.
7. Marie-Claire Lavabre, Le fil rouge. Sociologie de la mémoire communiste, Paris, Presses de Sciences Po, 1994.
8. En effet, si cet article se restreint à cet aspect des phénomènes de mémoire, il ne prétend pas, bien au contraire, qu'une telle étude doive se limiter à cette seule focale. Cet article cherche spécifi- quement à mettre en avant un ressort de la mémoire parmi d'autres. Il ne veut pas laisser entendre que celui-ci reposerait sur une ou des mémoires vives qui en seraient le support univoque. Il s'inscrit, au contraire, dans un travail de recherche plus large qui se donne pour but d'étudier l'ensemble des manifestations de la mémoire et les interactions complexes qui les réunissent. Ce travail, pris dans son ensemble, s'intéresse, par exemple, aux mémoires individuelles au travers de la conduite d'entre- tiens non-directifs avec des personnes sauvées qui témoignent. À ce jour, plus d'une quarantaine de ces entretiens ont été réalisés. Ils ne sont donc pas intégrés au corpus de travail dont ce présent article rend compte. À ce titre, ils doivent être distingués des quelques autres, plus directifs et de type infor- matif, réalisés auprès de responsables d'institutions ou d'acteurs publics dont les propos, en tant qu'acteurs directs de constitution de la mémoire historique, sont pris en compte dans ce papier. 1. Instaurant« Une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux "Justes"» de France, dont l'article unique est cité plus haut.
9. Il y reconnut la responsabilité de la France dans les déportations.
10. Extrait du discours du président de la République, le 16 juillet 1995.
11. Cf. à ce sujet les travaux réunis dans Travail sur la figure, travail de la mémoire, Stras- bourg, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme/Centre Marc Bloch, 1997.
12. Alfred Grosser, « La mémoire des peuples», Études, avril 1996, p. 504.
13. re éd., 1971, p. 13.
14. Certes, d'autres manifestations ont et ont eu lieu. Le Comité français pour Yad Vashem organise régulièrement des cérémonies de remises de médailles de« Justes parmi les nations», principalement dans des mairies, dans la capitale et en province. Les plus importantes ont été la cérémonie de remise de médailles des Justes parmi les nations effectuée à l'Assemblée natio- nale le 2 mai 2000 et l'inauguration de l'Allée des Justes à Paris, le 8 octobre. Cependant, tant la qualité de l'assistance que l'écho médiatique donné à ces cérémonies sont moindres que ceux constatés lors de cette inauguration qui suit de relativement près (2 ans) la déclaration de Jacques Chirac du 16 juillet 1995.
15. En effet, Laurent Fabius est président d'honneur de l'Association française pour l'hom- mage aux Justes parmi les nations. Pierre Mazeaud, Philippe Séguin, Jean Matteoli, président du Conseil économique et social, et Jean Denais, maire de Thonon-les-Bains, en sont égale- ment membres. À l'inverse, aucune personnalité non-juive n'est membre du Comité français pour Yad Vashem.
16. Ce dernier est représenté par le préfet de Haute-Savoie, chargé de lire son discours.
17. Annette Wieviorka, « 1992. Réflexions sur une commémoration. », Annales, 48, mai- juin 1993, p. 708.
18. Rencontrée lors d'un entretien de type informatif réalisé quinze jours après la céré- monie.
19. En effet, 85 journalistes étaient présents.
20. Le 8 octobre 1997.
21. Qui est d'ailleurs président fondateur du Comité français pour Yad Vashem.
22. Discours de Jacques Chirac prononcé le 2 novembre à Thonon-les-Bains, lu par le préfet de Haute-Savoie. Nous soulignons la formulation centrale qui constitue le cœur de tous les discours présidentiels sur la question et qui, dans une brève formulation, exprime l'ensemble des implications liées à l'institutionnalisation de la figure du Juste.
23. La déclaration de repentance des évêques de France a été faite le 30 septembre 1997 à Drancy.
24. L'écho donné à la visite du pape en Israël et à sa demande de pardon indique l'extrême sensibilité de cette question. Les protestants, eux - notamment à travers le prestige de l'action du village du Chambon-sur-Lignon et de ses pasteurs - sont souvent considérés comme ayant eu une conduite« exemplaire».
25. Par exemple, l'un des syndicats de policiers s'est excusé au nom de ceux qui avaient participé aux rafles.
26. C'est encore nous qui soulignons.
27. Texte final du discours.
28. L'absence de toute personnalité juive aux côtés de ces deux femmes montre une nou- velle fois que le cadre de la cérémonie est celui de la société française tout entière et de sa mémoire historique.
29. Termes de Jacques Chirac, utilisé dans son discours de Thonon-les-Bains.
30. Texte de la proposition de loi instaurant une« Journée nationale à la mémoire des vic- times des crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux Justes de France», enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 22 juin 1999, 1727, p. 5.
31. Éric Conan, Henry Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Fayard, 1994, p. 313.
32. L'analyse de Marc Bloch est à cet égard fondatrice. Cf. Marc Bloch, « Mémoire collec- tive, tradition et coutume. À propos d'un livre récent», Revue de synthèse historique, 1925.
33. Roger Bastide, « Mémoire collective et sociologie du bricolage», Année sociologique, 1970, p. 65-108.
34. Pierre Nora, Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1997, 3 vol.
35. En 1992, celui-ci, constitué de divers intellectuels, a rédigé une pétition demandant la reconnaissance par la République française de la responsabilité de la France dans les rafles et les déportations, notamment celle, hautement symbolique, du 16 juillet 1942 dite« rafle du Vel'd'Hiv'».
36. Nous avons réalisé un entretien de type informatif avec Marek Halter sur l'origine de sa démarche et avons dé pouillé tant les brochures de promotion du film que le traitement que la presse en a fait.
37. Cette lettre a été publiée dans la brochure de présentation du film avec la mention :« Ce texte a été écrit à la demande du Centre Simon Wiesenthal».
38. Élément que le président prend soin de faire connaître au travers de la typographie.
39. C'est un constat du même type que formule Annette Wieviorka :« Alors que jusque dans les années 1960 l'expression couramment employée pour évoquer la période 1940-1945 était "pendant l'Occupation", elle tend à être remplacée depuis les années 1980 par "sous Vichy"» (Déportation et génocide. Entre la mémoire et l'oubli, Paris, Hachette Pluriel, 1995, p. 327).
40. C'est-à-dire, bien sûr, le 16 juillet 1942, jour de la grande rafle du Vel'd'Hiv'.
41. Le débat, 89, mars-avril 1996. Celle-ci déplore notamment la reconnaissance d'une « faute collective» et la« dette» sociale qui l'accompagne.
42. Éric Conan, Henry Rousso, op. cit., p. 454.
43. Jean-Michel Chaumont, « Connaissance ou reconnaissance ? Enjeux du débat sur la singularité de la shoah», Le débat, 82, novembre-décembre 1994.
44. Celles formulées contre les époux Aubrac en 1997 ou celles présentant Jean Moulin comme un espion soviétique illustrent cette tendance
45. Titre du numéro spécial de la revue Esprit de janvier 1994.
46. Paul Thibaud, « La République et ses héros. Le gaullisme pendant et après la guerre», Esprit, janvier 1994, p. 64. À tel point que« de Gaulle a fini par n'être que le grand illusion- niste (voire le grand menteur) qui a fait croire aux Français qu'ils avaient tous été résistants», p. 64.
47. Là encore nous ne prétendons pas défendre un point de vue plutôt qu'un autre.
48. Jean-Pierre Azéma, François Bédarida, cité.
49. Cet intérêt pour l'aspect civil des événements n'est pas propre à la vision de la Résis- tance. Elle touche un ensemble de domaines. Elle marque la fin d'une représentation politique et militaire des conflits. Cette évolution se retrouve, par exemple, dans le développement des actions humanitaires et leur accès à un nouveau statut social, dont l'obtention par Médecins sans frontières du prix Nobel de la paix est l'illustration.
50. Lucien Lazare, Le Livre des Justes, Paris, Hachette Pluriel, 1996.
51. re éd. : 1989).
52. Jean-Pierre Azéma, François Bédarida, cité.
53. Cet intérêt de la recherche historique est synthétisé dans la note critique : Jacques Sémelin, « De la force des faibles : analyse des travaux sur la résistance civile et l'action non violente», Revue française de science politique, 48 (6), décembre 1998, p. 773-782.
54. Jean-Pierre Azéma, François Bédarida, cité, p. 967.
55. Lucien Lazare, La Résistance juive en France, Paris, Le Seuil, 1989.
56. Éric Conan, Henry Rousso, op. cit., p. 454.
57. D'ailleurs, les réactions négatives d'hommes politiques comme Philippe Seguin - pour qui« la France était à Londres» - ou Jack Lang - qui oppose à la conception de Jacques Chirac celle de ses prédécesseurs« qui sont tous des patriotes et de grands résistants» - indiquent que l'évocation des résistants dans ce discours n'a plus ni la même valeur ni la même fonction. Elle sert surtout à lier la nouvelle figure fonctionnelle qui est celle du Juste au cadre mémoriel tradi- tionnel.
58. Voici l'expression exacte du Président :« Certes, il y a eu les erreurs commises, il y a les fautes, il y a une faute collective. Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Cette France n'a jamais été à Vichy. Elle n'est plus, et depuis longtemps, à Paris. Elle est dans les sables libyens et partout où se battent des Français libres. Elle est à Londres, incarnée par le général de Gaulle. Elle est présente, une et indivisible, dans le cœur de ces Français, ces "Justes parmi les nations" qui, au plus noir de la tourmente, en sauvant au péril de leur vie, comme l'écrit Serge Klarsfeld, les trois-quarts de la communauté juive résidant en France, ont donné vie à ce qu'elle a de meilleur. Les valeurs humanitaires, les valeurs de liberté, de justice, de tolérance qui fondent l'identité française et nous obligent pour l'avenir.»
59. C'est nous qui soulignons.
60. Nous restreignons l'analyse à ses grandes lignes considérées dans notre perspective car les différents témoignages du procès et les registres de justification qu'il a mobilisés mérite- raient la réalisation d'une recherche spécifique.
61. Cf., par exemple, Libération du 3 décembre 1997.
62. Le Monde, 31 octobre 1997. D'ailleurs, l'actualité de la figure du Juste et sa significa- tion sur la scène publique française sont une nouvelle fois illustrées par la publication de José- Alain Fralon, Aristides de Sousa Mendes, le Juste de Bordeaux, Paris, Mollat, 1998. Notons d'ailleurs que le Juste choisi est celui qui a officié à Bordeaux comme Maurice Papon. De même, le numéro spécial sur la shoah de la revue L'Histoire en octobre 1998 a inclu pour la première fois - alors qu'un numéro de ce type sort périodiquement - un article sur les Justes, écrit par Annette Wieviorka, « La gloire des Justes».
63. Le Monde du 5 mars 1998 :« Samuel Pisar rend hommage aux Justes parmi les nations».
64. Sur ce point, la création du titre par l'Institut Yad Vashem a elle-même une prétention normative. À cet égard, le terme de« Juste» possède un poids symbolique indéniable que le choix de traduction a accentué. En effet, certains linguistes considèrent que« Sage» serait plus proche du terme hébreu de« Hasidé Oummot Ha-olam», à l'origine du titre, qui, dans la Bible, fait référence à ces non-Juifs pieux qui respectent les sept principes qui sont du devoir de toute l'humanité et se montrent bienveillants à l'égard des Juifs.
65. Luc Boltanski, L'amour et la justice comme compétences, Paris, Métailié, 1990.
66. Cités par François Bédarida, cité, p. 969.
67. L'étude comportementale sur les Justes qui a eu le plus d'écho a donné lieu à un livre justement intitulé Conscience and Courage (Eva Fogelman, Conscience and Courage : Res- cuers of Jews during the Holocaust, New York, Anchor Books, 1994).
68. De même, celui de Catherine Trautmann ou du maire de Thonon-les-Bains qui parle de sa ville comme d'une« terre de fidélité et de résistance».
69. D'ailleurs, l'intention était à l'origine du choix du lieu. En effet, Paris, qui est pourtant la capitale de cette France qu'on voulait honorer mais aussi le lieu du siège du Consistoire cen- tral, n'a pas été choisi. Le choix de Thonon-les-Bains nous fut notamment justifié par l'équipe en charge du dossier au Consistoire, lors d'un entretien informatif, comme correspondant à l'échelle à laquelle celui-ci voulait rayonner« celle de la société française». La référence n'est donc pas la taille, le poids économique ou autre mais bien la place historique pour la période et donc, son lien avec la Résistance.
70. La Fondation mémoire de la déportation - à travers la présence de sa présidente, Mme M. J. Chombart de Lauwe, au sein du Comité d'honneur -, l'Association mémoire des déportés et résistants d'Europe, par l'intervention de sa présidente au cours de la table ronde, mais aussi Jean Mattéoli, célèbre résistant, en sont quelques exemples.
71. Cette expression fait écho à la présentation traditionnelle de la Résistance.
72. Qui sont la porte-parole du gouvernement-ministre de la Culture et le préfet qui repré- sente le président de la République.
73. Nous verrons dans la suite de cet article que des mesures concrètes vont être prises dans ce sens.
74. Association loi 1901 qui a pour but la préservation du souvenir des Justes et de leurs familles. Elle regroupe principalement des Justes mais son adhésion est ouverte.
75. Au cours d'un entretien informatif que nous avons réalisé, l'attaché de presse s'emporte :« C'était pas à Israeul de le faire et puis c'est tout. Il y aurait dû avoir un département qui aurait dû s'en occuper en France, comme des résistants. Il y aurait dû avoir quelque chose, une médaille par exemple, qui aurait dû être créée.»
76. Le Comité français pour Yad Vashem, où nous effectuons une observation participante, reçoit de nombreux courriers et coups de fil en ce sens.
77. er mai 2001, en hommage aux victimes de la déportation et aux Justes. Cette initiative rassemble des associations mais aussi l'État français et, notamment, différents ministères.
78. La proposition de sujet est formulée en ces termes :« "Il y a eu cet immense réseau de braves gens qui ont sauvé tant d'êtres humains !" Robert Badinter. Durant l'Occupation, l'engagement a consisté en aide, assistance et asile à ceux qui étaient recherchés et traqués : résistants, juifs, agents alliés. a) Pour les classes de première et terminale, quelles réflexions vous inspirent ces engagements individuels souvent anonymes ; b) pour les classes de troi- sième, seconde et lycées professionnels : rapportez des actions individuelles ou collectives de votre région ou dont vous avez entendu parler. Dites ce que cela vous inspire».
79. Rapport de Daniel Marcovitch au nom de la commission des Affaires culturelles, fami- liales et sociales sur la proposition de loi de M. Jean le Garrec (no 1727) instaurant une « Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État fran- çais et d'hommage aux Justes de France», document no 2195, mis en distribution le 28 février 2000, p. 4.
80. Il s'agit du Consistoire central israélite de France, du Centre de documentation juive contemporaine, du Comité français pour Yad Vashem, du Comité représentatif des institutions juives de France, du Mouvement confédéral tsigane, de l'Amicale des anciens déportés juifs de France et de la Fondation de la Résistance.
81. re séance du mardi 29 février 2000, p. 10.
82. Lucien Lazare, Le Livre des Justes, op. cit., p. 88.
83. Mettant fin à la répartition des tâches entre Yad Vashem et la République telle que l'a présenté Lucien Lazare
84. Compte rendu de séance, p. 2.
85. Dans sa forme amendée, la proposition de loi fut soutenue et encouragée par les respon- sables du Comité français pour Yad Vashem. D'ailleurs, le travail d'observation participante que nous avons réalisé lors de notre DEA a montré la place importante, et complexe, tenue par le sentiment d'appartenance de ces bénévoles du Comité Français. Ils ont exprimé, à plusieurs reprises et dans des contextes différents, leur fierté d'avoir vu les Justes, et donc, indirectement eux-mêmes, entrer dans l'Histoire de France.
86. Comme l'illustre cet épisode, nous n'avons aucunement l'intention de nier l'existence de conflits dans le champ de la mémoire. Il est certain que ceux-ci existent. Cependant, dire cela n'apprend rien à l'observateur sur les mécanismes même de la mémoire. Ils sont infiniment plus complexes que la présentation que peuvent en faire les tenants du paradigme de la mémoire stratégique. Derrière des institutions ou des individus qui s'affrontent, peuvent sou- vent être rangés des points de vue sur la mémoire liés à des positions et des parcours de vie dif- férents au sein des divers groupes. Cf. la fin de l'article.
87. Cf. notamment : France-Israël Information, juillet-août-septembre 1999, p. 8.
88. Dans le cadre de la restructuration du Centre de documentation juive contemporaine.
89. L'interaction des divers niveaux de mémoire (individuelle, historique, collective) et des forces qui les portent n'est pas abordée ici car elle suppose de tenir toutes ces focales ensemble. Elle est par contre au cœur de notre travail de recherche sur« la mémoire des Justes parmi les nations en France». Ainsi, aux analyses de discours et de textes officiels, s'ajoutent la réalisa- tion d'entretiens non-directifs et la conduite de travaux d'observation participante sur plusieurs terrains. Ici, nous avons choisi de nous restreindre au niveau de la mémoire historique française des Justes.
90. Terme employé, à Thonon, par Jacques Chirac, Catherine Trautmann et de nombreuses personnalités, comme des journalistes.
91. Au niveau de la mémoire individuelle, qui n'est pas notre présente focale d'approche, cette réconciliation concerne jusqu'aux différentes identités qui peuvent se rencontrer dans un seul et même individu.
92. Nous avons choisi de nous concentrer sur le traitement par la presse de grands événe- ments où les Justes pouvaient figurer au propre ou au figuré.
93. 5503 au 1.01.2001.
94. C'est d'ailleurs à l'aune de ce couple de notions que Nathalie Heinich, à l'occasion de son dialogue avec Henry Rousso, résume les deux alternatives auxquelles le président Jacques Chirac était confronté lors de son discours de 1995.« On aurait d'une part une éthique du pardon et de la dette, basée sur la culpabilité collective et d'autre part, une éthique de la justice, basée sur la responsabilité individuelle», et« Si l'on reconnaît une culpabilité collective, comme le fait Chirac, le jugement devient impossible : la Justice ne se rend que pour les individus». Or, si les problèmes de culpabilité sont bien perçus à l'aune du rapport entre indi- vidu et collectivité, il semble que la séparation nette, à la fois logique et juridique, à laquelle Nathalie Heinich fait appel, n'ait aucune effectivité au niveau des représentations. Cf. Nathalie Heinich, « Sortir du silence : justice ou pardon ?», Le débat, 89, mars-avril 1996, p. 194 et suiv.
95. Éric Conan, Henry Rousso, op. cit., p. 347. Les auteurs ont souligné.
96. Pierre Nora, op. cit., p. 35.
97. Ibid.
98. Le terme« échappé» ne doit pas, ici, être confondu avec la notion de sauvetage. Il est objectivement établi que des Juifs de France ont échappé à la déportation. Il est différent de dire que cela est dû à l'action de sauvetage des Français. Cf. note suivante no 3.
99. Parmi beaucoup d'autres : Raul Hilberg, La destruction des juifs d'Europe, Paris, Fayard, 1988 ; Annette Wieviorka, Déportation et génocide, op. cit.
100. Notre intention n'est pas d'établir - ni même de rechercher - la vérité historique sur le degré de repré sentativité des Justes pour une telle visée mais de déterminer les mécanismes de mémoire qui mobilisent cette idée. Ainsi, notre perspective de recherche est-elle identique à celle adoptée par Annette Wieviorka lorsqu'elle analysait le déroulement de la mémoire du génocide et de la déportation en France et précisait :« Nous n'écrivons pas ici l'histoire des camps de concentration, mais nous cherchons à établir la représentation qui en est donnée dans les années d'après-guerre.» (Annette Wieviorka, op. cit. p. 234). Nous n'entendons pas rendre compte des comportements au sein de la population française sous Vichy, et encore moins de les juger, mais mettre en évidence les représentations qui en sont données et qui façonnent une nouvelle mémoire historique.
101. Proposition de loi, no 1727, op. cit., p. 7.
102. Cette présentation des faits relance d'ailleurs le débat sur le régime de Vichy afin de savoir s'il a permis ou non une plus grande aide de la population civile aux Juifs. Cf. notam- ment Annie Kriegel, Ce que j'ai cru comprendre, Paris, Robert Laffont, 1991, p. 172, et les développements d'Annette Wieviorka, Déportation et génocide, op. cit., p. 336.
103. Document no 2195, op. cit., p. 4.
104. Ibid., p. 10.
105. Compte rendu de la séance du mardi 29 février 2000 à l'Assemblée nationale.
106. Lorsque les statistiques de survie lors de la Shoah sont analysées, elles donnent lieu à l'expression de jugements moraux. Par exemple, Paul Ricœur juge qu'il faudrait, s'il venait à en effectuer un, « s'attaquer au fantasme d'une pesée, d'un bilan entre la bonté et le crime» (« Hommage aux "Justes"», Le Monde, 8 décembre 1994). À l'inverse, Jean Améry considère qu'on ne peut pas s'empêcher d'y penser et que cela revêt une certaine signification (Par delà le crime et le chãtiment. Essai pour surmonter l'insurmontable, Arles, Actes Sud, 1995. Publi- cation originelle en 1966, en allemand). Notre mention des statistiques ne se situe pas dans un tel débat mais se contente de restituer l'usage qui en est effectivement fait au niveau de la for- mulation d'une mémoire historique française de l'Occupation.
107. Ce rapport univoque à l'individuel a pu être analysé et établi grâce à un travail d'obser- vation participante au Comité Français pour Yad Vashem. Par exemple, le Comité français ren- voie systématiquement les demandes de titre pour des villages ou des institutions et incite les demandeurs à reformuler leurs requêtes en distinguant des individus au rôle majeur.
108. Titre qui, s'il existait, ferait écho à l'expression de« Village héroïque du Chambon-sur- Lignon». Cf. plus loin.
109. L'action de Yad Vashem n'est pas le thème de cet article. Nous n'en mentionnons donc que les aspects en interaction avec celle de l'État français. Pour plus de détails, cf. Sarah Gens- burger, « Le cadre institutionnel de la "mémoire des Justes"», mémoire cité.
110. Compte rendu, p. 8. C'est nous qui soulignons.
111. De plus, un second sujet de désaccord entre l'Assemblée et Yad Vashem a concerné la reprise du titre créé par le second. Ainsi, étant donnée la forme quasi-judiciaire de l'étude des dossiers par les commissions, le risque d'une divergence de jurisprudence a-t-il été soulevé. En effet, cette nature judiciaire se retrouve à la fois dans la Commission des juges de Yad Vashem et dans celle que la proposition de loi voulait instituer. La première est présidée par le président de la Cour suprême israélienne. La seconde devait compter parmi ses quatre membres perma- nents le président de la Cour de cassation. Enfin, plus largement, étant donné que l'Institut Yad Vashem s'occupe de ces questions depuis 1963, il a considéré que ce titre est indissociable de sa propre activité.
112. Op. cit., p. 5.
113. Propos du rapporteur, op. cit., p. 10 et p. 12.
114. Compte-rendu de la séance, p. 4, propos de Michel Herbillon. C'est nous qui souli- gnons.
115. Rapport, p. 9.
116. Compte-rendu de séance, discours du rapporteur, p. 1.
117. Ibid., p. 8. Intervention de F. Baroin.
118. Annette Wieviorka, Déportation et génocide, op. cit.
119. Il convient d'ailleurs de noter que contrairement à ceux qui parlent de l'utilisation stra- tégique de la mémoire par« les Juifs», celles-ci n'étaient pas d'accord sur une position com- mune. Nous y reviendrons.
120. Livre noir du communisme : crimes, terreur et répression, Paris, Robert Laffont, 1997.
121. Jean-Michel Chaumont, La concurrence des victimes, génocide, identité, reconnais- sance, Paris, La Découverte, 1997.
122. Paul Ricœur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Le Seuil, 2000.
123. Tzvetan Todorov, Abus de la mémoire, Paris, Arléa, 1995.
124. Motivé par la parenté évidente de leurs propos respectifs, le regroupement de ces trois auteurs en un paradigme commun se justifie d'autant plus que Tzvetan Todorov lui-même associe Stéphane Courtois et Jean-Michel Chaumont à son article-réponse à des critiques qui lui étaient adressées :« Je conspire, Hannah Arendt conspirait, Raymond Aron aussi», Le Monde, 31 janvier 1998.« Le paradigme de la mémoire stratégique» n'est pas une spécificité hexagonale mais la présente étude se limite au cadre de la société française.
125. Jean-Michel Chaumont, La concurrence des victimes, op. cit., p. 318.
126. Ibid., p. 145
127. Ibid., p. 117.
128. Ibid., p. 232.
129. Il permet également de rétablir l'existence d'un héroïsme des juifs eux-mêmes, ques- tion qui fut un enjeu central du premier moment mémoriel. En effet, les actes des Justes suppo- sent d'abord une volonté de se cacher des juifs qui ne sont donc pas ces« moutons» si souvent montrés du doigt. Mais plus encore, l'aide des Justes était souvent apportée en coopération avec des réseaux de résistance juive. La mise en avant de la première permet donc d'insister également sur le role des seconds. Nous ne développons pas ce point plus avant ici car il n'est pas au cœur de cette réconciliation mémorielle liée à la reconstruction par l'État de la mémoire historique autour de la figure du Juste. Cependant, encore une fois, elle en résulte en partie au travers d'un jeu de forces de mémoire. Cf. à ce sujet Sarah Gensburger, « Le cadre institu- tionnel de la "mémoire des Justes" : figures, témoignages et souvenirs», mémoire de DEA sous la direction de Marie-Claire Lavabre à l'EHESS.
130. Et Tzvetan Todorov, op. cit.
131. Jean-Michel Chaumont, « Connaissance ou reconnaissance ? Enjeux du débat sur la singularité de La shoah», art. cité, p. 79.
132. Ibid., p. 29.
133. Paul Ricœur, op. cit., p. 68.
134. « (La catégorie wébérienne de rationalité selon une fin - Zweckrationalität - opposée à celle de rationalité selon une valeur - Wertrationalität - est ici à sa place ; de même celle mise en œuvre par Habermas de "raison stratégique" opposée à "raison communicationnelle") » Il convient de remarquer la dimension purement et froidement calculatrice qui est sous-entendue par le choix d'une rationalité selon une fin et non selon une valeur.
135. Paul Ricœur, op. cit., p. 97. 1. Ibid., p. 103. 2. Ibid. 3. Paul Ricœur, op. cit., p. 108. 4. Ibid., p. 105. 5. Ibid.
136. Jean-Michel Chaumont, op. cit., p. 93.
137. Ibid., p. 16.
138. Bien sûr, elles conservent leur efficacité idéologique pour dénoncer certaines mémoires et en soutenir d'autres. Mais tel n'est pas l'objet de la sociologie de la mémoire.
139. Pierre Bouretz, « Cette fumée-ci, ils ne savent pas», Le débat, janvier-février 1998, p. 157.
140. Ibid., p. 162.
141. Il est d'ailleurs regrettable que les critiques de ces développements se sont jusqu'ici, elles aussi, situées principalement sur le terrain de la morale. Cf. notamment les articles de Pierre Bouretz, Richard Marientas, Michel Wieviorka et Jean-Michel Chaumont, dans Le débat, janvier-février 1998, qui rendent compte de certains aspects des questions soulevées par ce discours.
142. Cf. note 4, p. 316. Le choix du concept de rationalité selon une fin, préféré à celui de ratio- nalité en valeurs, est un exemple très fort du calcul froid associé à l'idée d'une manipulation.
143. Maurice Halbwachs, op. cit., p. 108.
144. Marie-Claire Lavabre, op. cit.
145. Marie-Claire Lavabre, op. cit., p. 36.
146. Pour une présentation de détail cf. : Marie-Claire Lavabre, « Peut-on agir sur la mémoire ?», La mémoire entre histoire et politique, Cahiers français, 303, juillet-août 2001, p. 8-13.
147. Articulation dont - dans le cadre, par essence restreint, de cet article - nous n'avons pu rendre compte et dont la complexité et l'intérêt mériteraient de nombreuses pages.
148. Au moins 6 000 Juifs peuvent être considérés comme ayant initié cette mise en avant de non-Juifs« exemplaires» et qu'ils considèrent comme leurs amis, voire leurs familles. Ce nombre ne doit pas être mis en perspective avec l'ensemble des Juifs de France car seules les personnes directement témoins des faits peuvent témoigner. Le sauvetage ayant très souvent concerné des enfants, les parents de l'époque (c'est-à-dire les plus de 80 ans) mais surtout les Juifs nés après la guerre (les 1-55 ans) ne peuvent témoigner. D'ailleurs, les entretiens montrent que ces derniers soutiennent, presque systématiquement, et souvent par un investissement per- sonnel concret, la démarche de leurs parents qui ouvrent un dossier auprès du Comité français pour Yad Vashem.
149. Au sens traditionnel de la résistance armée.
150. Dans le corps du présent article, nous avons choisi de présenter la figure du Juste à tra- vers la focale de la mémoire historique. Cependant, ce texte s'insère au sein d'un travail plus large qui cherche à comprendre la« mémoire des Justes» dans l'ensemble de ses composantes. L'isolement d'un seul niveau de mémoire ne doit pas être confondu avec une quelconque réifi- cation, il ne répond qu'à un souci de méthode. Les développements qui viennent d'être faits ne donnent donc qu'un aperçu de phénomènes beaucoup plus larges et complexes.
151. Cf. la réflexion comparative de Maurice Kriegel, « Trois mémoires de la Shoah : États- Unis, Israël, France. À propos de Peter Novick, L'Holocauste dans la vie américaine», Le débat, 117, novembre-décembre 2001, p. 59-73.