Sur la genese sociale des « emeutes urbaines »

Societes Contemporaines

Volumn 45-46, Issue 1-2, 2002, Pages 215-243

  Beaud, Stéphane ^a   Pialoux, Michel ^b  

^a CNRS   (France)

^b Centre d'Études de l'Emploi et Centre de Sociologie Européenne CNRS

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EID: 34247442679     PISSN: 11501944     EISSN: None     Source Type: Journal    
DOI: 10.3917/soco.045.0215     Document Type: Article

References (30)

1. Le Pays de Montbéliard, 13 juillet 2000.
2. Ibid.
3. Voici un extrait de compte rendu par un journal local : « À vingt-deux heures des groupes de jeunes sont entrés en action avec la ferme volonté de tout casser. Ils ont pris le relais des incidents qui avaient suivi l'après-midi l'interpellation rue du Petit chênois du braqueur présumé de la banque d'Audincourt. En milieu d'après-midi plusieurs centaines de jeunes avaient copieusement pris à partie les forces de l'ordre pour tenter de " libérer " celui qu'ils considéraient comme leur héros. Le résultat de 2 h de violence nocturne est impressionnant : trois voitures et une moto détruites par le feu la Caisse d'Épargne, cinq commerces... » (L'Est Républicain, 14 juillet 2000).
4. Des analyses fouillées ont déjà été faites pour rendre compte de pareils événements. C'est notamment le cas des travaux de Christian Bachmann et Nicole Le Guennec qui, dans leur livre intitulé Autopsie d'une émeute urbaine (Albin Michel, 1997) établissent la chronique détaillée du déroulement d'une émeute urbaine (dans les quartiers Nord de Melun, en 1993) puis tentent de donner des éléments d'explication en remontant à la fois du côté de l'action publique et du côté des « acteurs de l'ombre » (les jeunes de la cité, les meneurs, les suiveurs, les desperados). Leur méthode d'enquête, si l'on se fie à ce qui est indiqué dans la note méthodologique qui clôt leur ouvrage, accorde une place centrale aux points de vue des acteurs les plus institutionnels (Police, RG, Justice, Institutions sociales...). Cet accès à ce type de données est précieux, en même temps qu'il éloigne d'une perspective ethnographique que nous privilégions dans notre travail.
5. Elles font apparaître une sorte de face-à-face entre les jeunes du quartier concerné et les forces de police (et/ou les CRS), sur fond d'hostilité latente et d'un travail de harcèlement de la part des jeunes (Cf. le livre cité supra de Christian Bachmann et Nicole Le Guennec, Autopsie d'une émeute). Ces études laissent émerger le thème des « quartiers d'exil » ou, par exemple dans les travaux de Jacques Donzelot, celui de la « fracture urbaine », des quartiers qui « font sécession » ou, dans un registre plus alarmiste, des zones de non droit. D'autres travaux, inspirés par une perspective constructiviste, mettent surtout l'accent sur l'imbrication entre la construction médiatique du problème, la demande politique de rétablissement de l'ordre, et la nouvelle offre de sécurité.
6. Phénomène bien mis en évidence dans les récents travaux de Hugues Lagrange. Cf. en particulier De l'affrontement à l'esquive, Syros, 2001.
7. Une des caractéristiques, qui surprend toujours les observateurs, lorsqu'on évoque les émeutes urbaines, est que celles-ci visent le plus souvent des biens collectifs qui bénéficient aux habitants du quartier. C'est donc ce qu'on pourrait appeler le caractère violemment auto-destructeur que prennent ces émeutes. Cf. Aziz Begag et Christian Delorme « Rites sacrificiels des jeunes dans les quartiers en difficultés », Annales de la recherche urbaine, No 54, 1992, p. 45-52.
8. Christian Bachmann et Nicole le Guennec, Violences urbaines, Albin Michel, 1996.
9. C'est sans doute toute l'histoire sociale, sur longue durée, de la Cité des Gaules qu'il faudrait mobiliser pour rendre compte de cette (peu glorieuse) antériorité de la région lyonnaise dans l'éclosion de ce phénomène : le traumatisme de la révolte des canuts lyonnais, la peur des pauvres puis des rouges, la mise à l'écart des immigrés dans ces banlieues, la non connexion par les transports en commun.
10. C'est cette perspective socio-historique qui manque peut-être aux études sur les émeutes urbaines.
11. Laurent Mucchielli, « Violences urbaines, réactions collectives et représentations de classe dans la jeunesse des quartiers relégués », Actuel Marx, no 26, 1999.
12. Ce qui suppose en fait de comprendre par exemple ce qui s'est passé depuis quinze ans dans la filière automobile mais en l'expliquant d'une autre manière que le font les économistes.
13. Pour son analyse, voir Actes de la recherche en sciences sociales no136-137 (notamment les articles de Gérard Mauger, Annie Collovald, Laurent Bonelli), et La machine à punii, (sous la direction de Laurent Bonelli et Gilles Sainati), L'esprit frappeur, 2001.
14. Le lien économique, La lettre économique de la communauté d'agglomération du Pays de Montbéliard, no 4, novembre 2000, p. 1.
15. Sur ce point, voir les travaux d'Armelle Gorgeu et René Mathieu, notamment « Production et validation des compétences dans les entreprises de la filière automobile », Cahiers lillois d'économie et de sociologie, no 31, 2000.
16. Voir, pour une illustration exemplaire, le texte d'Abdlemalek Sayad « La malédiction » in la Misère du Monde (sous la dir. de Pierre Bourdieu), Seuil, 1993.
17. Stéphane Beaud, « Paroles de militants 'beurs' », Genèses, no 40, 2000.
18. Dans la période principale de notre enquête (1988-96), peu d'entre eux, dans la région, s'étaient alors tournés vers le rap pour exprimer leur rage. À la différence des jeunes des banlieues de Paris, Lyon, Marseille, plus tôt dé sindustrialisées.
19. Comme en témoigne leur rapport à la formation : un travailleur social, qui connaît bien la question de l'emploi sur la région nous confie : « Les jeunes en ont ras le bol de la formation... On a essayé de viser les publics en difficulté pour les informer... de les mener vers une employabilité parce qu'il s'agissait plus d'une attitude comportementale... on a eu beaucoup de difficultés... énormément... » (décembre 2000). Cf., pour une analyse plus développée du sens des nouvelles pratiques d'insertion économique, l'article de G. Mauger, Les politiques d'insertion. Une contribution paradoxale à la déstabilisation du marché du travail, Actes de la recherche en sciences sociales, no 136-137, mars 2001, p. 5-14.
20. Cf. le numéro 1 de la revue Politique européenne.
21. Impossible à chiffrer précisément du fait même de l'absence de données statistiques sur l'origine nationale des enfants d'immigrés. Mais les statistiques d'institutions comme les collèges ou les lycées, la Mission locale font apparaître que, dans les quartiers HLM de la région, ils constituent largement plus de la moitié de la population des jeunes.
22. Comme le note Dominique Duprez dans le compte rendu de son enquête dans les quartiers sud de Lille (dont la population est à forte composante immigrée) : « Ce n'est pas la simple appartenance à un quartier réputé difficile qui provoque des difficultés avec le marché de l'emploi, mais la conjonction de l'origine ethnique, de l'appartenance à un quartier de mauvaise réputation et à une classe d'âge », in « Entre discrimination et désaffiliation. L'expérience des jeunes issus de l'immigration maghrébine », Annales de la recherche urbaine, no 76, 1998, p. 83.
23. Nous avons réalisé en septembre et octobre 2000 une série d'entretiens avec des « bacs pro » de la région poursuivant leurs études à l'Université (en DEUG d'histoire). 80 % d'entre eux étaient d'origine immigrée et la plupart habitaient les « quartiers sensibles » de la région. Cf., pour un premier compte rendu de cette recherche, Stéphane Beaud et Michel Pialoux, « Les bacs pro à l'université : récit d'une impasse », Revue française de pédagogie, avril-juin 2001.
24. Pierre Bourdieu et alii. Travail et travailleurs en Algérie, Paris, Mouton, 1963.
25. C'est là un thème que l'on retrouve de manière récurrente chez les enfants d'immigrés maghrébins, surtout chez les garçons : le sentiment d'avoir été victime de préjugés de la part de leurs enseignants.
26. L'intérim est fonctionnel dans cette logique, il ne vous enferme ni dans une définition de vousmême ni un dans un destin. Mais aussi les petits boulots d'État qui donnent un petit statut, des petites ressources et qui peuvent vous offrir un avenir...
27. Les parents trouvent souvent excessive cette réaction de leurs enfants mais on peut se demander si, dans leur for intérieur, ils n'éprouvent pas une secrète satisfaction de se voir sinon vengés du moins honorés par la lutte de leurs enfants.
28. Certains de ces « vieux » peuvent aussi les « excuser » en se rappelant leur jeunesse turbulente. N'y a t-il pas aussi un effet d'amnésie collective autour de ce qu'était la jeunesse populaire, effet dû à la non émancipation sociale du groupe des jeunes, réduits pendant des années à n'être que des stagiaires à vie, des intérimaires permanents...
29. Anecdote significative ; un bar de centre-ville, nouveau et « tendance », a affiché partout sur les murs de l'é tablissement « un verre d'eau = 5F » pour dissuader les jeunes de s'y installer.
30. Cf. le beau travail ethnographique de Philippe Bourgois, En quête de respect. Le crack à New York, Paris, Seuil, 2001. Les vendeurs de crack portoricains sont structurellement marginaux mais, par contre, ils contrôlent l'espace.