Le surnom et ses usages sur les marchés à la criée du matif contrôle social, fluidité relationnelle et représentations collectives

Geneses

Volumn 41, Issue 4, 2000, Pages 5-40

  Hassoun, Jean Pierre ^a  

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EID: 0040276340     PISSN: 11553219     EISSN: None     Source Type: Journal    
DOI: 10.3917/gen.041.0005     Document Type: Article

References (95)

1. Emprunt « fictif» (synthése mathématique d'un panier d'emprunts obligataires émis par l'état français) servant de référence (ou de sous-jacent) pour le contrat dit « notionnel» proposé par le Matif. Pour les pouvoirs publics, cet instrument a comme fonction d'assurer une liquidité et une souplesse dans la gestion de la dette publique. Dans le langage quotidien on dit: « Acheter ou vendre la dette française.»
2. «Produits dérivés » est un terme générique qui recouvre l'ensemble des contrats dont la valeur dépend (ou «dérive») de celle d'un autre produit ou instrument financier. Voir Yves Simon, Les marchés dérivés. Origines et développement, Paris, Economica, 1997.
3. Pibor: Paris InterBank Offered Rate. Moyenne arithmétique de huit taux d'intérêt à court terme offerts par quatorze banques représentatives de la Place sur le marché interbancaire. Ce taux (sous la forme de contrats à terme) est l'objet de négociation quotidienne. Il a pour principale fonction de permettre à des acteurs économiques de se couvrir d'éventuelles fluctuations de taux.
4. Cac 40 Future: Contrat à terme dont le sous-jacent est le Cac 40 («panier» des quarante sociétés françaises représentatives de façon pondérée de l'économie nationale). Ce contrat sur indice a pour fonction de se couvrir des fluctuations du marché des actions. De maniére générale, les « futures », francisation du terme anglais futur, sont des contrats fermes d'achat (ou de vente) de titres livrés à une date future.
5. Monep: Marché d'options négociables de la Bourse de Paris. Une option est un titre (payant) qui donne le droit (et non l'obligation) d'acheter (ou de vendre) à une date future et à un prix déterminé à l'avance un actif déterminé appelé sous-jacent.
6. Voir Patrick Verley, « Les sociétés d'agents de change parisiens au XIXe siécle», Commité pour l'histoire économique et financiére de la France. études et documents I, Paris, ministére de l'économie, des Finances et du Budget, pp. 127-147.
7. L'acronyme Cac (Cotation assistée en continu) renvoie tant à « l'électronisation » des transactions qu'au temps de négociation de moins en moins limité.
8. à propos de cette « modernisation» dans le contexte français voir Jean-Charles Naouri, «La réforme du financement de l'économie», Banques, no 459, 1986, pp. 211-221
9. « Le marché financier: bilan et perspectives », Revue française d'économie, vol. 2, no 1, 1987, pp. 184-194.
10. Sur la place de l'informatisation dans ce processus voir Olivier Godechot, Jean-Pierre Hassoun, Fabian Muniesa, « La volatilité des postes. Professionnels des marchés financiers et informatisation », Actes de la recherche en sciences sociales, no 134, 2000, pp. 45-55.
11. Ce type de discours est généralement construit autour de figures emblématiques comme par exemple
12. Voir entre autres: Richard Barrett, « Village modernization and changing nicknaming practices in Northern Spain», Journal of Anthropological Research, vol. 34, 1978, pp. 92-108;
13. Stanley Brandes, «The structural and demographic implications of nicknames in Navanogal, Spain», American Ethnologist, vol. 2, 1975, pp. 139-148;
14. Christian Bromberger, (avec la collaboration de Gérard Porcell) « Choix, dation et utilisation des noms propres dans une commune de l'Hérault: Bouzigues», Le Monde Alpin et Rhodanien, 1976, pp. 133-151;
15. Eugéne Cohen, «Nicknames, social boundaries and community in an Italian village», International Journal of Contemporary Sociology, vol. 14, 1977, pp. 102-113;
16. Nancy Dorian, « A substitute Name system in the Scottish Highlands », American Anthropologist, vol. 72, 1970, pp. 303-319;
17. David Gilmore, «Some notes on communauty nicknaming in Spain», Man, vol. 17, no 4, 1982, pp. 686-700;
18. Julian A. Pitt-Rivers, «Law and morality. Nicknames and the Vito» (chapter XI), The people of the Sierra, Chicago, The University of Chicago Press, 1954;
19. Martine Segalen, «Le nom caché. La dénomination dans le pays Bigouden sud», L'Homme, vol. 20, no 4, 1980, pp. 63-76;
20. Françoise Zonabend, « Jeux de noms. Les noms de personne à Minot», études Rurales, 1979, pp. 51-85.
21. Voir F. Zonabend, « Le nom de personne », L'Homme, vol. 20, no 4, 1980, pp. 7-23; C. Bromberger, « Pour une anthropologie des noms de personne», Langages, no 66, 1982, pp. 103-124.
22. Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, pp. 226-286.
23. C. Bromberger, «Choix, dation», op. cit.
24. F. Zonabend, «Jeux de noms», op. cit., pp. 49 et 72.
25. M. Segalen, «Le nom caché», op. cit.
26. Voir J. A. Pitt-Rivers, « Law and morality», op. cit.; N. Dorian, « A substitute Name systeme», op. cit.; R. Barrett, « Village modernization», op. cit.
27. Voir E. Cohen, «Nicknames», op. cit.
28. D. Gilmore, «Some notes», op. cit.
29. S. Brandes, «The structural and demographic implications», op. cit.
30. Voir entre autres: James K. Skipper, «Nicknames, folk heroes and assimilation: Black League baseball Players, 1884-1950 », Journal of Sport Behaviour, 8, 1985, pp. 100-114; « Nicknames, folk heroes, and jazz musicians », Popular Music and Society, 10, 1986, pp. 51-62.
31. Pour un exemple, voir Jean de Bellot, La chute d'un Agent de change. L'affaire Beaudouin, Paris, Albin Michel, 1989.
32. à propos des critiques académiques des conceptions traditionnelles du marché voir Viviana Zelizer, « Repenser le marché. La construction sociale du "marché aux bébés" aux états-Unis, 1870-1930», Actes de la recherche en sciences sociales, no 94, 1992, pp. 3-26.
33. L'archétype de ce type de discours est représenté par l'association Attac (voir http://attac.org) et son combat pour l'institution d'une taxe (la taxe Tobin) sur certains flux financiers dits « spéculatifs » que générent et/ou symbolisent les produits dérivés.
34. Si l'on cumule les marchés du Notionnel, du Pibor et du Cac 40 Future, le volume négocié (total des lots achetés et vendus) en 1994 a atteint 141587 906 lots. (Sources: Matif SA statistiques).
35. Voir O. Godechot, J.-P. Hassoun, F. Muniesa, « La volatilité des postes», op. cit.
36. Marie-France Garcia, « La construction sociale d'un marché parfait: le marché au cadran de Fontaine-en-Sologne», Actes de la recherche en sciences sociales, no 65, 1986, p. 2.
37. e colloque de l'Association internationale des sociologues de langue française (AISLF), « Le surnom dans les interactions au travail. Premier essai de typologie», (comité de recherche no 15, «Sociologie du travail»), université de Laval, Québec (Canada), 3-7 juillet 2000.
38. Ce travail repose sur une enquête ethnographique de plus d'un an (1997-1998) au palais Brongniart dont le libre accés m'a été permis par Matif SA en dehors de toute relation contractuelle. Outre les observations quotidiennes, plus de soixante entretiens semi-structurés et enregistrés ont été effectués auprés de tous les types d'acteurs. Une lettre présentant le cadre, les objectifs, le contexte de publication de la recherche, ainsi qu'une garantie d'anonymat, a été remise à chacune des personnes interrogées. Le prise de photos n'était pas autorisée sur les marchés.
39. L'Eufloor était une salle modulaire aussi cette description a valeur au moment de mes observations. La photo figurant en iconographie de cet article est antérieure.
40. Il s'agit soit de grandes banques (françaises ou anglo-saxonnes), de sociétés de Bourse (qui appartiennent aujourd'hui aux banques) ou de courtiers. Dans le contexte du Matif, les courtiers sont des sociétés d'intermédiation, françaises ou anglo-saxonnes, spécialisées dans les marchés à terme.
41. La fonction de trader peut être l'objet d'usage abusif et d'un certain enjeu symbolique. Il arrive que les sales se disent trader comme me l'ont parfois fait remarquer, non sans ironie, des négociateurs sur les parquets.
42. « Boite» : terme de jargon pour désigner l'ensemble de l'appareillage téléphonique présent dans chaque boxe.
43. Pour une description plus technique, voir Paul Jorion, « La queue qui remue le chien. Métamorphose de la finance due à son informatisation», Techniques et Cultures, no 23-24, 1994, pp. 307-349.
44. à propos de ce type de transaction, voir J.-P. Hassoun, «Trois interactions marchandes hétérodoxes sur les marchés à la criée du Matif. Rationalité locale et rationalité globale», Politix, no 52, 2000.
45. Entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée.
46. Abréviation de « position ». Ils ont« pris une position » sur le marché.
47. Voir Jacqueline Matras-Guin, « Vente et tirage au sort dans les criées en gros du poisson», Ethnologie française, vol. 17, no 2-3, 1987, pp. 227-234; Jean Vaudois, « Le développement des marchés au cadran dans la région du Nord », études rurales, no 78-79-80, 1980, pp. 113-133; M.-F. Garcia, «La construction sociale », op. cit. et « Représentations savantes et pratiques marchandes », Genéses, no 25, 1996, pp. 50-71; Alain Quemin, Les commissaires priseurs. La mutation d'une profession, Paris, Anthropos Economica, 1997.
48. Un des parcours type fut de commencer fichiste ou côteur chez Matif SA, puis de devenir flasheur, avant de parvenir à être boxeman ou négociateur et, pour un petit nombre, d'être promu « chef négo », ou responsable de parquet (c'est-à-dire responsable de plusieurs équipes d'une même banque ou d'un même courtier) ou encore de choisir (et d'obtenir) le statut de Nip.
49. Ces revenus doivent être lus dans le cadre d'une fiscalité d'entreprise et en tenant compte des charges propres à ce type de structure.
50. Dans les moments les plus intenses le niveau des décibels autorisé par les régles sanitaires au travail est largement dépassé avec des pointes à 110-120 décibels.
51. Les « chiffres » sont des indices relatifs à la vie économique qui ponctuent la vie de ces marchés à heures réguliéres et attendues. En fonction du décalage par rapport aux attentes le marché réagit violemment à la hausse ou à la baisse. L'annonce du taux de chômage américain, le vendredi à 14 heures, en était l'exemple le plus extrême.
52. Ce terme dérive du verbe familier «chambrer».
53. Christian Ghasarian, «La "vanne" et la "pression"- Ethnographie d'un chantier de la région de Marseille», Ethnologie française, vol. 29, no 4, 1999, p. 601.
54. Ce court aperçu biographique est publié avec l'accord de la personne concernée dans la mesure où le surnom peut permettre son identification.
55. Dans le jargon local, une «ligne » désigne un contrat.
56. Un film (12 heures 30. La passion d'un métier de Frédérique Buisson, sur une idée de Marc Moulin, coteur du groupe B, Phi Production, 26') réalisé à l'occasion de la fermeture d'un des groupes de criée du marché des actions, le 21 janvier 1988, souligne fiérement cette pratique du surnom au moment même de la disparition de ces univers.
57. O. Godechot, J.-P. Hassoun, F. Muniesa, « La volatilité des postes », op. cit.
58. Chez les Compagnons du Devoir, l'attribution d'un surnom est prescriptive et ritualisée. Voir émile Coornaert, Les compagnonnages en France. Du Moyen âge à nos jours, Paris, Les éd. Ouvriéres, 1966; Annie Guédez, Compagnonnage et apprentissage, Paris, Puf, 1994. Dans les écoles d'ingénieurs d'Arts et Métiers le surnom («la buque ») est considéré comme une quasi-obligation. Voir Denys Cuche, « Traditions populaires ou traditions élitistes. Rites d'initiation et rites de distinction dans les écoles d'Art et Métiers », Actes de la recherche en sciences sociales, no 60, 1985, pp. 57-68; Rachel Steinmetz, « Le surnom comme moyen d'intégration à un groupe. Les buques à l'ENSAM», maîtrise de sociologie, Paris X-Nanterre, 1995, 70 p.
59. Pour chacun des surnoms figurant dans le texte il est possible de se reporter à l'annexe où figure l'ensemble des surnoms collectés (par ordre alphabétique) ainsi qu'une courte phrase permettant de saisir leur compréhension locale.
60. En argot, «la fiotte » désigne un homosexuel.
61. Je remercie Sonia Fleurance pour son assistance dans le maniement du logiciel Excel.
62. Cette approximation souligne que tous ces surnoms n'ont pas la même teneur car certains d'entre eux ne sont utilisés qu'é pisodiquement. Ils existent tous cependant.
63. Il est de type asiatique.
64. Les négociateurs les plus réputés étaient rémunérés (primes comprises) entre 500000 et 1 million et demi de francs par an.
65. Spieler (de l'allemand spielen, jouer) est synonyme de « spéculer à court terme ». Ce terme était utilisé dans la Bourse d'avant 1987 où les actions se négociaient à la criée.
66. Le fait de limer un ordre ne génére pas directement de bénéfice financier pour la société de courtage ou pour le négociateur mais entraîne la satisfaction du client dans le cadre d'une relation commerciale. La capacité à limer peut faire monter la valeur du négociateur sur le marché du travail.
67. Je remercie Josiane Massard d'avoir attiré mon attention sur cette possible analogie.
68. Voir Maurice Godelier, « Big Man», in Pierre Bonte et Michel Izard (éd.), Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, Paris, Puf, 1991, p. 113: « On devient Big Man par ses capacités à produire ou rassembler des richesses [...] pour les redistribuer avec une générosité calculée dans des échanges cérémoniels où individus et groupes entrent en compétition [...] Ces fonctions exigent de grandes capacités oratoires et beaucoup d'habileté pour convaincre des dizaines d'hommes et de femmes de suivre un Big Man dans ses entreprises et d'y contribuer par une part de leur travail et de leur richesse.»
69. Sur les fonctions générales du nom (identification, signification, classification), voir Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, pp. 226-286.
70. Matif SA employait environ cinq cents salariés dont une centaine sur les parquets.
71. C. Lévi-Strauss, La Pensée, op. cit.
72. «Il négocie comme un boucher. Il partage pas ses lignes. Il a souvent des réflexions à cause de ça et il rentre dans le lard à tout le monde pour placer ses ordres»
73. Voir paragraphe ci-dessus: « Origine empirique d'un objet de recherche.»
74. Les négociateurs et les Nip sont effectivement les plus « anciens » sur les parquets.
75. Sources: Matif SA statistiques.
76. Le Bund est l'équivalent allemand du Notionnel.
77. Plus de 150 termes de jargon ont été collectés. Ils feront l'objet d'une publication spécifique.
78. B. Zarca, «Identité de métier et identité artisanale », Revue française de sociologie, vol. 29, no 2, 1988, pp. 247-273.
79. Le film 12 heures 30, op. cit., fait état de cette pratique. Elle m'a également été confirmée lors d'entretiens avec d'anciens commis.
80. Pendant ces quelques mois, des tensions ont existé entre ces deux populations.
81. P. Verley, « Les sociétés d'agents de change », op. cit.; J. de Bellot, La chute d'un Agent de change, op. cit.
82. Cette hypothése a été confirmée par la relative faible trace mémorielle laissée par ces surnoms. Un ou deux ans aprés la fermeture de ces marchés, si les protagonistes se souviennent de ces surnoms et de leur signification à la lecture de leur liste, ils ont, par contre, des difficultés à se les remémorer spontanément.
83. Il n'y a guére qu'à Londres sur les pits du London International Financial Futures Exchanges (Liffe) ou sur les marchés de Chicago (Chicago Mercantile Exchange, CME, et Chicago Board of Trade, CBOT) que le même type d'univers a fonctionné. Une courte enquête à Londres a permis de constater que la pratique du surnom y avait également cours.
84. De maniére plus générale, cette approche en terme de « volatilité » a été proposée à propos des postes de travail dans le secteur de la finance (voir O. Godechot, J.-P. Hassoun, F. Muniesa, « La volatilité des postes», op. cit.). Nous tentons ici d'y réfléchir au niveau des relations sociales qui trament la quotidienneté de ces univers.
85. Harold Garfinkel, Studies in Ethnomethodology, Cambridge, Politis Press, Blackwell Publishers Ltd., 1984.
86. Pour des situations de travail où la gestion des relations se pose en terme de distance et de proximité, voir Denis Guigo, «Les termes d'adresse dans un bureau parisien », L'Homme, no 119, vol. 31, t. III, 1991, pp. 41-59.
87. Sources Matif SA statistiques (moyennes établies par l'auteur).
88. M.-F. Garcia, «La construction sociale», op. cit.
89. Erving Goffman, «The order of interaction », American Sociological Review, no 48, 1983, pp. 1-17.
90. Mark Granovetter, « Economic action and social structure: the problem of embeddedness », American Journal of Sociology, vol. 91, no 3, 1985, pp. 481-510.
91. V. Zelizer, «Repenser le marché », op. cit., p. 3.
92. Alfred Reginald Radcliffe-Brown, « La parenté à plaisanteries » (chap. IV), Structure et fonctions dans la société primitive, Paris, Minuit, 1968, pp. 169-199.
93. Michel Bozon, «Les petits profits du travail salarié. Moments, produits et plaisirs dérobés», Revue française de sociologie, vol. 31, no 1, 1990, pp. 101-127.
94. « La perruque » est un terme du jargon ouvrier qui désigne les pratiques consistant à détourner du temps, de l'outillage et des matiéres premiéres en vue d'une production personnelle.
95. Je remercie toutes les personnes qui ont bien voulu participer à cette enquête pour leur gentillesse et leur humour. Le chercheur, sans vraiment être surnommé de façon fixe, a souvent été appelé: «le sociologue», «l'anthropologue», «le fonctionnaire», «l'intellectuel», «le branleur», «le paléontologue». Merci également à Bernard Geberowicz qui, au cours d'une partie de tennis, m'a demandé: «Pourquoi les anthropologues n'étudiaient pas la Bourse ?»